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Kiss over the Green Line

"L'histoire d'un baiser"

Et si la nature portait plainte pour plagiat ?

Je ne sais pas pour vous, mais il y a des matins, parfois, où je me prends pour Dieu… Voilà une phrase qui va faire son effet et il y a fort à parier que vous n’êtes pas prêts d’arrêter la lecture.

Ces petits matins frais quand la lumière est belle et douce, légèrement rosée, encore presque toute endormie, je saute dans mon véhicule et en quelques minutes, je sors des limites de la petite ville dans laquelle j’habite. Là, dans une campagne poudrée de givre, sur les petites routes qui sentent la noisette (Mireille si tu nous écoutes… !) il m’arrive de croiser un petit âne qui broute déjà, des chevaux qui fument en balayant l’air de leurs queues, des écureuils qui traversent imprudemment, des vaches paisibles qui ressemblent à de gros cubes de cuir bicolores.

Je suis photographe et immédiatement je cadre dans mon esprit les scènes qui s’offrent à moi. Les arbres sont transpercés d’une lueur blanchâtre et fragile, à l’arrière-plan le ciel se pomponne, la route forme un ruban sombre et brillant qui met en valeur la tendre clarté de l’herbe des bas-côtés, clic, par la pensée, tel le Créateur, je déclenche.

Je traite, j’agrandis j’expose. Et soudain, j’entends, descendant des cieux diaphanes la petite voix de la nature qui me menace de porter plainte pour plagiat car enfin, me dit-elle, cette œuvre que tu t’appropries sans la moindre vergogne est la mienne ! L’implacable couperet de la justice me menacerait-il ?

C’est en livrant dernièrement une très grande photographie (par la taille), représentant un graff de Kobra réalisé sur une maison en contrebas de la High Line à New York que ce questionnement sur le plagiat m’a titillé les méninges. En effet, je viens de vendre une photographie reprenant l’œuvre d’un artiste mondialement connu. En suis-je fier ? Quelle valeur ai-je ajouté à ce visuel pour que j’ose le signer et le mettre en vente ? Mon client (il se reconnaitra certainement) se rend-il compte qu’il possède désormais l’œuvre d’un photographe qui représente l’œuvre d’un graffeur… Oui, il s’en rend compte car nous en avons parlé, mais cela n’élude pas la question pour autant

En approfondissant, et puisque l’œuvre ainsi peinte représente elle-même la photographie d’un artiste existant, dont le support est un mur à mettre au bénéfice d’un architecte de renom, j’estime avoir achevé la boucle et permis d’une certaine manière la diffusion et la préservation de cette création éphémère.


Quant « au baiser de Times Square » à l’origine de ces élucubrations, c’est bien une photographie réalisée à Manhattan par Alfred Eisenstaedt le jour de la capitulation du Japon en août 1945. Ce cliché qui a fait le tour du monde et qui nous intéresse aujourd’hui est une œuvre spontanée, un réel instantané, contrairement au « Baiser de l’hôtel de ville » de Robert Doisneau qui est une mise en scène de talent certes, mais quand même. Les deux personnages qui s’embrassent sont identifiés, il s’agit de Greta Zimmer et du marin George Mendonsa. Et ce baiser à une vraie histoire.


Le Japon capitule, c’est un jour de victoire. George Mendosa est au cinéma avec sa petite amie Rita et la séance s’interrompt pour annoncer le triomphe. Tous les militaires présents à Times Square sortent dans les rues pour célébrer l’évènement. On imagine la joie des Marines en permission à New York lorsqu’ils apprennent qu’ils n’ont plus à retourner se faire tirer dessus pour des prunes dans l’archipel nippon. Comme tous les autres soldats, George avec Rita sur les talons, se rue dans tous les bars pour arroser le V-Day. Et, quelques heures plus tard, c’est bourré comme un coing qu’il se retrouve dans l’avenue.

Alfred Eisenstaedt le remarque titubant et parlant fort, sautant sur toutes les femmes qu’il croise, jeunes ou vieilles, pour les embrasser à peine bouche sous les regards ravis de ses compagnons de beuverie. Eisenstaedt remarque également la jeune Greta Zimmer, assistante dentaire, qui se trouve devant lui. Le photographe a anticipé la scène et est certain que George va croiser Greta. Il fait donc le point sur la jeune femme et l’inévitable se produit : George attrape Greta par le cou et l’embrasse comme toute les autres. Greta est prise au piège et se soumet contre sa volonté au baiser aux relents d’alcool.

En 1980 le Magazine Life à contacté les trois acteurs de cette scène : Eisenstaedt, Greta Zimmer et George Mendonsa pour les réunir et faire une nouvelle photographie de la scène. Greta Zimmer a refusé tout net expliquant qu’elle n’en voulait pas à Mendonsa mais qu’elle n’avait pris aucun plaisir à l’embrasser et qu’elle ne souhaitait absolument pas renouveler l’expérience.


En conclusion, oui je suis heureux d’avoir réalisé cette photographie, d’y avoir mis tout le soin nécessaire et d’avoir cadré attentivement en incluant le bâtiment qui est sur la droite, si caractéristique de New York. Kobra, Eisenstaedt , l’architecte, Greta Zimmer et George Mendonsa peuvent bien vouloir, comme dame nature, me faire un procès d’intention, ils n’ont qu’à aller se faire voir.

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