Le triangle des déshérités ... ? Pas tant que ça.
Red Hook the Sunny's Bar
Photography Philippe BEASSE Limited Edtion
Vos mains tremblent dès qu’une émission de télévision vous entraine à New York City, qu’elle soit culturelle, de découverte, ou gastronomique. La moindre série B, voire C vous scotche à votre téléviseur pour la simple raison qu’il y a dans son titre le nom d’un quartier de Manhattan ou d’un building connu, vous bavez littéralement en parcourant vos photographies de vacances new-yorkaises, vos souvenirs vous plongent dans une mélancolie toute proustienne…ce n’est pas la peine de vous ruiner en consultations hasardeuses, envoyez-moi directement la somme, je vous annonce que vous avez le Syndrome de Big Apple.
On ressent ce syndrome dans deux cas bien identifiés :
1) Vous avez envie de partir découvrir New York pour la première fois de votre vie.
2) Vous rêvez d’y retourner.
Tout naturellement le premier séjour se concentre sur les grands classiques, les buildings emblématiques, les terrasses recommandées, les musées incontournables, les ponts, Liberty Island, Ellis Island, la frange sud de Harlem, un nuage de Brooklyn, un soupçon de Williamsburg et une cuillérée de Coney Island. C’est normal et c’est déjà pas mal !
Avant le départ, vous ratissez large et accumulez tous les guides qui traitent de New York. Méfiez-vous cependant de ne pas voyager uniquement dans ces ouvrages bien intentionnés qui sont plein de conseils, d’adresses indispensables de restaurants et d’hôtels car lorsque vous aurez déterminé votre lieu de résidence, vous pourrez immédiatement arracher les 250 pages qui vous en proposent dans tous les quartiers de la ville. De même pour les précieuses adresses de restaurants, de bars de rooftops etc, New York est impitoyable et de nombreux établissements, même prestigieux, ferment leurs portes pour non renouvellement de bail (c’est le cas du mythique Lindy’s sur la 7ème Ave.) pour suspension du fameux « Grade » qui indique le respect de l’hygiène ou pour cause pure et simple de démolition d’immeuble. Encore 130 pages à mettre au feu.
New York est en pleine révolution. Les prix de la vie quotidienne subissent directement les effets de la surenchère qui agite la bulle immobilière, les constructions énormes, s’élèvent dans le ciel azuréen de la cité au dépend parfois de l’esthétique de l’ensemble.
Aujourd’hui l’alignement majestueux des ponts de Brooklyn, de Manhattan et de Williamsburg est désormais obstrué par un Légo de verre impressionnant. Attendons l’achèvement des travaux et le rendu final pour porter un commentaire objectif sur ce qui apparaît quand même aujourd’hui comme une effroyable verrue parallélépipédique.
Puis au fur et à mesure des séjours, inévitablement, on élargi le périmètre des circuits. Il est tellement facile de jouer les New-yorkais, la ville est si familière et se l’approprier semble à portée de chacun, on est souvent plus à l’aise dans ces artères rectilignes que dans sa propre ville. On apprivoise rapidement les méandres du Subway dès lors qu’on a compris la signification de UpTown et de DownTown et le bus s’avère plutôt très pratique et permet de repérer des quartiers et des rues dont on ne soupçonnait pas l’attractivité.
Il est un gros secteur qui mérite d’être exploré au sud-ouest de Brooklyn et qui fait l’objet de cette newsletter, c’est l’ensemble formé par Red Hook, Carrol Gardens et Gowanus.
Red Hook Brklyn
Red Hook (crochet rouge) a longtemps été le grand port de New York et même l’un des plus importants des Etats-Unis. (à partir des années 60, la grosse l’activité portuaire de RH a été transférée dans le New Jersey) C’était à l’époque le quartier le plus dangereux du pays. Ancien fief de la mafia new-yorkaise, berceau de la carrière du célèbre Al Capone, Red Hook voyait passer en trombe les grosses limousines chargées d’individus à la jovialité insoupçonnable. En ce temps-là, on « sulfatait » son prochain à grande décharge de mitraillette Thompson, et de fusil à pompe, les trafics fleurissaient dans tous les domaines, la vie humaine ne valait qu’une poignée de billets de 1$. On appelait Red Hook « Crack City », ça en disait long sur l’ambiance qui régnait dans ce faubourg insalubre.
Après les dégâts monstrueux occasionnés en 2012 par l’ouragan Sandy, la renaissance du quartier se fait avec une lenteur relative et grâce aux efforts d’entreprises emblématiques telles que le Fairway Market et Ikéa, ainsi qu’aux chantiers d’entretien de la flotte des Water-taxis. Le tissu économique se reconstruit avec le dynamisme habituel et l’enthousiasme bien connu des new-yorkais. Comme dans tous les secteurs un peu à l’abandon, les grandes friches disponibles font les yeux doux aux entrepreneurs qui achètent des mètres carrés à des tarifs avantageux, aux promoteurs qui construisent des « Machins » comme disait le Général de Gaulle dans tous les sens et aux artistes qui investissent les espaces laissés libres pour organiser des expositions éphémères ou se réunir dans d’énormes « Artists Flea Markets », ces galeries où se côtoient les créateurs branchés, les artisans passionnés, les producteurs bio, les cultivateurs de roof-tops et autres barbers hipster.
Big Pig Beach Gowanus
Plus haut à l’est, le quartier de Gowanus, s’organise tant bien que mal autour d’un canal longtemps utilisé comme dépotoir. La Mafia y plongea bien des récalcitrants récidivistes soigneusement lestés par des blocs de bétons et que nul n’avait l’audace ni l’envie d’aller repêcher. L’industrialisation à outrance du quartier dans les années 1960 et les installations charbonnières n’arrangèrent pas la qualité de l’eau du canal et les efforts aujourd’hui encore contrariés par les négligents, portent à peine leurs fruits. Le secteur cependant, au même titre que Red Hook, devient « cool », se repeuple doucement, se boboïse certainement et les touristes les plus audacieux commencent à inscrire ces quartiers dans leur programme.
Des restaurants tous plus inventifs les uns que les autres dans leur décoration, envahissent les rues glauques leur rendant ainsi un vernis attractif. Des distilleries, des brasseries et des chocolateries historiques reprennent également un peu de lustre tout en parfumant délicatement l’atmosphère et proposent dans des fabriques artisanales de très bons produits souvent originaux.
The Brooklyn Brewery et The Strong Rope Brewery proposent des bières de belle qualité avec un petit parfum de tourbe ou de fumé. Raaka’s Chocolate sur Seabring Street et Cacao Pietro sur Conover Street rivalisent sans aucune difficulté avec les grandes chocolateries institutionnelles que sont Mast Brother sur 3rd Street et Nunu’s Chocolates sur la 5e Avenue au ceur de Brooklyn.
Building in Caroll Gardens
Caroll Gardens triangule les deux autres quartiers de cette brève évocation. C’est l’ancien fief de la classe laborieuse italienne, ses Brownstones élégamment rénovées et réhabilités pourraient servir de décor naturel à bien des films historiques. Devant chacune des maisons aux tons bruns, des escaliers parfois spectaculaires descendent dans de petits jardinets souvent très bien entretenus, ou surplombent des courettes aménagées. Le quartier attire une population jeune et aisée. Beaucoup de Français dans ce secteur et une école française très courue avec un programme d’éducation bilingue Français-anglais « The Carrol School ». De l’histoire italienne subsiste toujours une foule de petits commerces, pizzérias, boucheries, charcuteries, restaurants et bars qui répandent leurs terrasses jusqu’à la rue dès les premiers rayons du soleil. Des antiquaires, des fleuristes des dizaines de petites échoppes pleines de charme complètent le panorama. Une balade à faire loin du tumulte de Manhattan pour appréhender la vraie vie new-yorkaise. Les rues de Caroll Gardens largement ombragées par des arbres centenaires ressemblent à de frais tunnels dès que les températures commencent à grimper et y déambuler est un réel plaisir.
Visiter / manger / boire…
A Red Hook, Van Brunt Street est la rue principale et c’est là que se concentrent les principaux restaurants. The Good Fork figure parmi les meilleurs, on y déjeune ou dine parmi les habitants du quartier dans une ambiance bruyante (comme souvent à New York) mais très conviviale. Il est recommandé par the Eater, the New York Times et The New-Yorker.. Rien que ça.
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